jeudi 5 juillet 2012

L'Algérie des femmes, une lecture cinquante ans plus tard

Par Amel Chaouati
Bidos, jeudi 05 juillet 2012



Vers la ville de Pau le 05 juillet 2012. Photo: A.Chaouati

Quelques jours avant le 1er juillet 1962, Assia Djebar, rentre en Algérie après huit années d’absence et effectue, probablement la première enquête sur les algériennes à peine sorties de cent-trent-deux  ans de colonisations et de sept années de guerre.
Cette enquête va être publiée sur le journal L’EXPRESS fondé et dirigé par Françoise Giroud en date du 26 juillet 1962 sous le titre L'Algérie des femmes.

Louisa est le premier témoin de l’enquête : « Louisa. 25 ans, représente un type de militante comme on en rencontre souvent maintenant. Sa vie depuis 1957, est confondue totalement avec les événements». Plus loin elle ajoute "Pendant quatre mois, en wilaya 4, zone 2, elle est la seule femme avec un commando mobile, dans une région dangeureuse." Elle est blessée, arrêtée et soignée puis emmenée avec ses nombreux plâtres dans un camp de parachutistes où elle subit la torture.

Transmission. Photo: A.Chaouati
Quand on a lu le recueil de récit Algérienne écrit par Anne Nivat, on ne peut que reconnaître non sans émotions Louisa Ighilahriz qui survit à la torture et à la gangrène grâce à un médecin humaniste : « Un médecin militaire, en visite la découvre par hasard, tient tête à l’officier responsable pour la faire hospitaliser de nouveau. Elle est sauvée. »
Le recueil de récit s’ouvre justement sur le voyage de Louisa en France à la recherche de la tombe de son sauveur. Elle lui fera une dédicace posthume : « A la mémoire de mon ange-sauveur le médecin-commandant Richaud ».
Louisa rentre à Alger deux mois avant l’indépendance après avoir été emprisonnée à Barberousse  puis en France : Les baumettes, la Roquette, Amiens, Toulouse, Bordeaux, Pau puis en résidence surveillée en Corse d’où elle va s’évader avec la complicité de militants Français. Assia Djebar lui demande ce qu’elle pense de la situation des Algériennes depuis son retour , sa réponse est la suivante : «  Par rapport à 1957, le changement  est très net. Les femmes sont moins timides. Elles veulent l’abolition de tous les privilèges du sexe. Elles veulent participer à tout… »

Dans cette enquête quatre points sont abordés :
-          L’existence de nombreux profils de femmes en Algérie selon leurs appartenances géoraphiques, (citadine, rurale), du niveau culturel, de leurs engagements pendant la guerre…
-          L’incidence sur la dynamique familiale des femmes engagées dans la vie politique. 
-         Les transformations des rapports homme-femme. A ce sujet Assia Djebar écrit dans cette enquête : « C’est en face de l’homme, son époux, que l’Algérienne aujourd’hui, entrevoit précautionneusement son nouveau visage. La musulmane traditionnelle est devenue une personne, une compagne que le regard de l’homme reconnaît et qu’auparavant la présence des « sœurs », les militants des prisons et des maquis, lui faisait espérer. »
-          Le voile dans la cité. Le premier juillet correspond à un vaste mouvement de dévoilement des femmes. Voici un témoignage de Hamida : « Ma mère ne voulait pas admettre que je sorte sans voile, à l’occidentale. J’ai donc dû me voiler à quinze ans.  Mon père, d’esprit libéral, m’aurait bien laissé. Mais ma mère est à cheval sur les traditions ; elle vit dans la peur que sa fille soit la proie des racontars, des médisances de la ville… Mais ce 1er juillet, elle est alors tellement occupée par la fête… alors je me suis dévoilée. »
Cette guerre aura pour conséquence de réveiller la conscience des femmes. Djamila confie ce qui suit «  Je trouve que la liberté de la femme est indispensable. Avant la guerre, je ne pensais pas à ce problème. »
Assia Djebar conclut son enquête avec les phrases suivantes : « Je les ai vues, la plupart, les premiers jours de l’indépendance. Elles rendaient grâce  à Dieu de ces jours arrivés ; et maintenant, elles attendent. »

Après cinquante ans, le temps n'a pas réduit cette enquête à un témoignage d'une époque révolue puisque tous les sujets abordés sont encore d’actualité et gardent toute leur acuité. On peut même constater un certain recul dans certains domaines.
Hier, je me suis résolue à entamer la lecture de cet article dans le journal que j’ai acheté il y a deux ans, attendant ce jour pour le faire. Mon émotion est d’autant plus grande lorsque j’ai reconnu Louisa, l’une des témoins. C’était l’année dernière, je donnai ma première conférence à Alger, dans le Centre culturel Français. La conférence avait pour thème l’emprisonnement des femmes de la suite d’Abdelkader en France. Louisa Ighilahriz  tenait à écouter parler de ces femmes du dix-nevième siècle qui l’avaient précédée dans les prisons de France. Elle apprendra avec émotion que ces femmes avaient été emprisonnées comme elle, à Pau.


Suivre son chemin d'écriture. Photo: A.chaouati
Aujourd’hui, nous sommes le jeudi 5 juillet; je rédige ce papier dans le train en direction de Pau.
Ce voyage envisagé depuis un certain temps et fixé pour cette date, est nourri par la trace du passé. J'envisage me rendre sur le lieu où les femmes de la Smala ont été emprisonnées avec leurs enfants. Je passerai aussi devant la prison de Pau en souvenir de Louisa Ighilahriz, de Zohra Drif, de Djamila Boupacha et d’Eliette Lou...
Lorsque j'arriverai à la gare de Pau, je serai attendue et accueillie par l’enfant de ma terre, une française d’Algérie qu’elle a quittée en 1962, la poupée dans les bras, à peine âgée de 8 ans.
Ce chemin vers le passé est aussi nécessaire pour ma génération née à peine quelques années après l’indépendance. Nous aussi nous avons besoin de faire le deuil de ce passé transmis dans le silence, ou avec une mémoire entrecoupée, à peine balbutiée mais surtout chargée par des récits historiques souvent tronqués.
Un chemin important pour lutter contre l’oubli du passé et arriver à l'apaisement des esprits.

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