mardi 26 juin 2012

Anne-Marie Carthé
Plasticienne

Ne pouvant assister à l’assemblée générale de l’association, je t’envoie Amel un texte d’un auteur, Jean-Michel Maulpoix. C’est ma façon d’être un peu parmi vous, le Cercle des amis, et de partager. Je souhaite à tous une belle soirée, pour ce 29 juin.

« Aujourd’hui, en France, il n’y a pas une crise de la langue – car les mots s’arrangent toujours pour poursuivre ; mais il y a une crise de l’amour de la langue. » R. Barthes

« L’amour de la langue » est une notion impertinente. Nul ne s’est préoccupé de classer les auteurs selon ce critère, mais il fut entendu durant des siècles que la création littéraire lui était implicitement soumise. Ecrire devait être un exercice de qualité ; et si la poésie paraissait plus noble et plus pure que les autres formes d’expression, c’est qu’elle accordait à la langue les plus hauts privilèges. Cette heureuse dévotion permit l’affirmation d’un ordre, au point que se confondirent le beau et le bien : un style agréable se portait de quelque façon garant de la morale. Pourtant, cette confusion fit ombrage à la reconnaissance plénière des vertus de la langue à qui la littérature moderne a rendu son autonomie, exilant du même coup l’écrivain, et le contraignant à se mesurer sans cesse à l’inexprimable. Antérieure au véritable amour, la crise l’a rendu possible.
Il y a désormais « crise de l’amour de la langue » chaque fois qu’un auteur moderne reproduit paresseusement des formes anciennes et se contente de couler son imaginaire dans un moule  usé qui ne dérange aucun aspect du monde et du savoir. L’amour de la langue n’existe que là où l’on se met en péril : il est l’amour de l’aventure d’écrire, de son incertitude et de son risque. L’écrivain est cette créature en perte de vitesse et d’identité qui ralentit ensemble le cours du temps et le pouls de la subjectivité pour faire l’épreuve d’un être plus vaste et précaire à la fois. La langue n’est pas seulement l’ensemble des vocables et des règles syntaxiques dont il dispose ; c’est en lui un cœur, hors de lui un monde. La scène de leur rencontre se répète indéfiniment sur la page blanche. Il doit l’entreprendre avec les moyens qu’elle lui a concédés pour récompenser sa patience. Quoiqu’il la possède, elle ne lui appartiendra pas. Il ne gagne le droit que de battre en retraite jusqu’au fond de lui-même. Ecrire l’exalte, le consume, et le force à faire face. Le texte seul étend son territoire ; l’écrivain n’accroît jamais son désir.
…Ecrire consiste en cet effort qu’un homme fait de sa langue pour entendre son être et se mettre par là au monde. Car c’est bien dans le langage que se trouve notre manière propre de rejoindre le monde. » J-M Maulpoix, Papiers froissés dans l'impatience. Edition Champs Vallon.

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