vendredi 22 janvier 2010

La soif

Une soif qui ne s’altère jamais


J’ai fini de lire la « soif » qui n’étanche pas ce désir de lire et relire les œuvres de Assia Djebar. Lorsque je me saisie d’une de ses oeuvres, je me sens faire un avec le texte. Et dès la première phrase je suis embarquée dans un tunnel tumultueux, fragile, grave, obscure, trouble et sensuel.
Je me sens alors à la lisière de la vie, de la mort, à la lisière du bonheur et de sa déchirure, je me sens dans la peau de chacun de ses personnages car chacun d’eux représentent une partie de moi.
J’aime le langage de cette écriture ; mais qui aime sincèrement craint le risque, le risque de l’incertitude de la rencontre. Mais moi je ne crains pas son écriture, j’en ai peur ; son écriture me fait peur car elle me traverse avec son scalpel et trace des entailles dans mon âme. Et le livre se referme mais pas les plaies. J’ai peur de cette écriture, car son langage pourrait être ma conscience écrite ou mon inconscience.
« La soif », un roman, dur, grave, fulgurant, tragique jusqu’à son aboutissement. A-t-on conscience à vingt ans que la vie sera souvent un gâchis. A-t-on conscience du gâchis pour l’autre ? l’autre peut-il devenir l’évidence même de cette triste réalité partagée par tous avec raison et moralité pour cerner le doute et l’étouffer.
Car lorsqu’on évite du regard l’autre, la vie suit son cours paisiblement même si c’est triste.
Et puis il y a celles et ceux qui se refusent à ce destin groupal ; pourquoi finalement se risquent-ils ? Pourquoi Nadia l’héroïne du roman, se met en marge de tous pour devenir la conscience du groupe ou leur mauvaise conscience. Elle est coupable, ceux qui disent l’aimer n’hésitent pas à l’accuser, alors elle se dit aussi coupable. Mais coupable de quoi ? Coupable car différente ?
Quel est ce trouble qui l’agite puisque même la beauté, la santé , la jeunesse, ne lui suffisent pas ?
Mais est-t-elle si différente finalement ? elle trébuche, elle ne peut aller jusqu’à son aboutissement car elle bute devant les limites qui la trahissent qui lui résistent ; elle est libre seulement au dehors, les autres en tremblent mais à l’intérieur elle le sait, elle est liée !!
Elle n’aime l’autre que parce qu’il dévoile ses sentiments car celui que son cœur choisit la mène droit vers l’interdit, l’inaccessible.
Mais comment aimer ? s’agit-il d’aimer d’amitié, aimer de jalousie, aimer d’interdit ou aimer autrement ? Comment est-il cet autrement lorsque le drame se greffe et qu’on se sente coupable ?
Nadia aime l’air, la mer, la terre, le dehors toujours dehors. Une chambre devient vite une tombe pour recueillir les larmes, la tristesse, la mort dans l’âme.
Dehors la vie est ensoleillée, elle a la couleur du bleu du ciel, la vie est façonnée comme les ondulations des criques, car la vie n’est jamais linéaire. La vie a le goût du sel marin, la grâce d’un plongeon, le rythme de la brasse, le parfum de l’iode. La vie c’est l’accélération, le vertige, les cheveux dans le vent. Mais la vie a le goût amer des impossibles, des déceptions et de la lâcheté. Car la mort observe et guète au loin elle frappe le ventre d’une femme enceinte, le bonheur paisible d’un homme serein, ou la vie entière.
La mort scrute et attend qu’on l’appelle. L’autre héroïne, Djedla a dit non à la vie et la mort s’est présentée à elle sans tarder.
Y aurait-il eu ces drames si Nadia avait seulement gardé longtemps sa tête sur les genoux de Djedla. Qui était de trop dans cette amitié à trois, elle ou lui ? Car l’une a échoué dans les ténèbres et l’autre dans les bras d’un autre homme.
La soif de la liberté a un prix, c’est le risque de la marginalité. Se refuser à la liberté c’est mourir, l’accepter c’est souffrir.
Souffrir de cette souffrance des autres qui ne vous regardent plus comme avant, souffrir du risque de l’isolement, souffrir car les autres vous envient cette audace avec reproche et agressivité, ils vous rejettent car vous dérangez les équilibres et vous signifiez qu’il peut y en avoir d’autres.
« La soif » est un roman, beau dans sa gravité suprême. Il démontre que la liberté pour certains est plus chère que pour d’autres.
Et je pense aux femmes de chez moi, aux femmes en Turquie, dans les pays arabes ou musulmans, d’Afrique ou d’ailleurs en Europe notamment. Car certaines se sentent coupables pour le simple fait d’être femmes.
Alors, le sacrifice fait son entrée imminente. Alors certaines se sacrifient pour un autre qu’elles disent aimer, d’autres se sacrifient pour une cause. Et il y a celles qui se sacrifient pour rien.

« La soif » me plonge dans les profondeurs de ma personne, je glisse sans pouvoir y échapper. Les histoires me hantent ; Elles me plongent dans un silence intérieur, un désarroi, mais surtout une conscience de moi ou d’une partie de moi qui grimace l’autre partie.

Amel Chaouati

Osny, le 18 mars 2007


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Coupable car différente !!!...