vendredi 23 novembre 2007

Journal le Monde: Assia Djebar et Leïla Sebbar: une jeune Algérienne qui rêvait en français


Critique


LE MONDE DES LIVRES 22.11.07



Nom : Assia Djebar. Pays de naissance : Algérie. Profession : écrivain. Profession du père : maître d'école. Langue maternelle : arabe.
Nom : Leïla Sebbar. Pays de naissance : Algérie. Profession : écrivain. Profession du père : maître d'école. Langue maternelle : français.
Comment ne pas rapprocher deux ouvrages, de nature et de taille différentes, qui racontent l'un et l'autre une enfance algérienne tiraillée entre deux langues et deux cultures, sous le regard du père ? Si Leïla Sebbar a rassemblé différents textes très personnels dans un petit livre, qualifié de "récit", Assia Djebar, membre de l'Académie française, publie le premier volet d'une vaste fresque autobiographique, qu'elle a pudiquement appelé "roman".
"Je suis la fille d'un Arabe et d'une Française", écrit Leïla Sebbar. Dans l'Algérie coloniale, le père dirige une "école de garçons indigènes" où enseigne la mère. Pour sa part, la petite Leïla va à l'école des filles du quartier européen et se fait insulter sur son passage par des garçons, qui se moquent de ses socquettes blanches, de sa jupe écossaise et des boucles dans ses cheveux. Elle se fait insulter en arabe, la langue de son père, qu'elle ne comprend pas. Et la voilà prise au piège, dans ce pays colonisé, "fille d'un victime et d'une bourreau", entre "un masculin féminin et un féminin masculin".
La petite fille modèle, nourrie des romans de la comtesse de Ségur, finira par se réfugier de l'autre côté de la mer, dans le silence des bibliothèques. Mais, un jour, renonçant à cette "protection meurtrière", elle ira à la rencontre des Algériennes exilées, dans les squares et les cafés arabes de Paris : ces mères "musulmanes, analphabètes, séquestrées", qui deviendront les héroïnes de ses propres livres.
Leïla Sebbar écrit en français sur l'Algérie, le pays meurtri. "J'écris le corps de mon père dans la langue de ma mère." Ces femmes, qu'elle n'a plus cessé de rencontrer, sont en quelque sorte ses "mères premières". Elle les entend parler arabe sans les comprendre. "J'ai le son, je n'ai pas besoin du sens, il est pour ainsi dire déjà là." La langue du père, qui était dangereuse sur le chemin de l'école, devient alors "comme une musique, une langue sacrée"...
Le parcours d'Assia Djebar est différent, même si elle connaît, elle aussi, l'épreuve de la rue dans les différentes villes d'Algérie où son père exerce successivement son métier de maître d'école : l'arabe est sa langue maternelle... et paternelle. Encore toute petite, elle traverse la rue du village colonial, chaque jeudi, tenant la main de sa mère, qui se rend au hammam. Une mère voilée de blanc, déshabillée par les regards des Européens attablés aux terrasses des cafés. La fillette lui sert en quelque sorte de garant et de protection.
Qu'est-ce qu'une langue maternelle ?"

Robert Solé

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