Chère grande Dame,
Chère Assia Djebar,
Chère Zohra qui a honoré l’Algérie,
Chère Académicienne qui a orienté les jeunes vers l’instruction !
Une joie indescriptible, une émotion inexprimable, une angoisse terrifiante: voilà ce que j’ai éprouvé lorsque notre merveilleuse et déterminée Amel m’a exprimé son vœux audacieux de vous voir au club et de m’adresser à vous…
L’inquiétude m’a aussitôt prise à la gorge : Oserai-je te tutoyer comme autrefois ? Est-ce que je dois te nommer par ton prénom « Zohra » ?
Je me suis demandé aussi si j’allais être pardonnée pour devoir employer le style « d’instituteur » appris au lycée de jeunes filles de Blida. A cette époque, il ne régnait qu’un seul maître. Il nous inculquait avec conviction, en communication le principe suivant : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ! ».
BLIDA ! Ville des roses ! Elle a perdu lentement ses parfums.
Durant cette période trouble, des mots nouveaux apparaissaient : justice, injustice, indépendance, exploiteurs, liberté, colonialisme…
Le lycée de jeunes filles commençait à ouvrir ses portes aux « indigènes » suite à de fermes revendications de la part de nos frères Algériens. Trois jeunes filles « indigènes » venaient de franchir cette grande porte à deux battants en fer forgé, décorée à son sommet en lettres dorées « Lycée de jeunes filles » : Aïcha aux cheveux blonds frisés et tressés, avec sa longue blouse à carreaux, était toujours assise sur le muret de la cour pendant la récréation. Elle venait de Relizane, en kabylie, et ne sortira qu’en fin d’année puisqu’elle était interne. Fadhila, ma voisine dont la maison était séparée de la mienne par un jardin commun, avait fini par obtenir de ses parents le fait tout à fait original d’aller au lycée mais voilée. Son père exerçait la profession d’oukil judiciaire. Il savait analyser les réactions de l’entourage : « s’instruire affirmait-il, mais garder ses traditions ». Avec ces paroles, il obtenait la faveur de ma mère qui me rappelait constamment « tu n’es pas Jeannette, tu vas t’instruire comme le conseille notre prophète, mais sans essayer de lui ressembler! » Ainsi nous étions protégées contre les délations des hommes du quartier et même de la ville.
Et la troisième jeune fille, était toi !
Pendant que l’on s’entremêlait dans des questions sans réponse : comment sortir de cet enfermement, comment réussir notre traversée vers l’inconnu, sans nous attirer la colère de Dieu, de nos parents, de notre quartier, ni celui de notre société , voilà que tu arrives, là, dans ce lycée et ta présence tout d’un coup nous donne une certaine assurance : nous venions de prendre conscience de quelque chose de vague qui nous appartenait et que chacune de nous avait vaguement quelque chose à faire.
Nos yeux écarquillés de curiosité, nous découvrions une silhouette aux formes normales, d’où émanait une tranquille assurance et un regard déjà orienté vers d’autres horizons. Tu étais vêtue d’une jupe courte, qui découvrait légèrement les genoux, et tu portais des chaussures simples . Des cheveux souples, de couleur naturelle, suivaient avec bonheur les mouvements de la tête.
Ma chère Fatma-Zohra, ton audace de te vêtir ainsi, nous plongeait dans un monde de rêve, un monde nouveau : loin de l’interdit qui nous imposait de nous couvrir de « la tête aux pieds » ! Aussi dès le lendemain à peine sortie de la maison, je remontais ma blouse à mi-mollet, avec une ceinture !... loin aussi du « Tu dois suivre les conseils de ton père et de ta mère et tu seras bénie » , loin aussi de « Après ton père, ton mari sera ton maître, il t’offrira le bonheur et tu devras être capable de lui faire le sien ». Bien sûr nous doutions de tout cela, mais ne pas souffrir pour s’arracher à tout cela, et ne pas faire souffrir son entourage, nous semblait impossible.
Et puis, tu étais là, devant nous avec les encouragements de tes parents, avec la confiance qu’ils avaient en toi, et avec la liberté dont tu semblais disposer. Aussitôt, tout cela, nous apparaissait abordable et réalisable.
Ce même soir chacune de nous avait annoncé dans sa famille d’un ton ferme : « Il y a dans le lycée, une fille très honorable, qui est venue sans voile et sans habit jusqu’aux chevilles! »
Nous avions été écoutées mais pas entendues. Je m’ étais alors promis de réussir à supprimer mes longues tresses raides terminées par un ruban rose, ainsi que ma longue blouse taillée et cousue par ma bien aimée-mère, sans oublier mes « majestueuses » chaussures faites sur mesure par le cordonnier choisi par mon père-attentionné… Il nous fallait en plus, affronter le regard des autres élèves qui nous regardaient d’un air découragé qui laissait sous-entendre : « Quand finiront-elles de se faire remarquer, ces deux-là ? »…
C’était, Toi, ma très chère Fatma-Zohra, qui nous avait donné confiance par ta simplicité et ton authenticité. Tu nous avais aidé à franchir la première étape vers la réalisation de soi , après avoir pris conscience du poids de nos interdits.
Quelques jours après ton arrivée au lycée, mon père m’annonçait : « Je me suis renseigné, la fille dévoilée qui vient au lycée est berbère. Je t’autorise à la fréquenter.. Ses parents sont très instruits, ils sont civilisés et la fille est moderne." ce qui signifiait que tu n’étais pas comme nous.
Cependant, notre première étape restait inachevée. Fadhila portait le saroual et le kakab, et moi, j’avais bien quitté la « maharma sur la tête, mais je portais toujours la couleur du hénné sur les mains. Pour aller de la maison au lycée, j’étais accompagnée de mon très jeune frère, qui se faisait une joie d’imposer sa loi sur mon comportement : « Baisse la voix ! les hommes t’entendent, ne te tortille pas quand tu marches et ainsi de suite.… » Et le situation était la même pour ma voisine Fadhila.
Nous imaginions alors, comment une fille libre comme toi allait choisir ses vêtements dans les boutiques, comment tu parlais au vendeur, comment tu te comportais au hammam pour être choisie par une future belle-mère, comment tu allais au cinéma ?…et autres.
Un autre matin, au lycée, à l’heure de la recréation, un silence inhabituel m’intriguait. Personne ne se précipitait dans la cour. J’approchais du groupe d’élèves. J’écoutais : « Elle a eu 18/20 ! C’est incroyable ! Tu réalises ! Notée par la professeur de Français, surnommée « la bourgeoise » parce qu’elle était mariée avec le proviseur du lycée de garçons et que politiquement elle se situait à droite. A l’inverse de ma professeur de philo qui était célibataire et communiste…Chacune répétait 18/20…18/20 d’autant plus qu’elle avait la réputation de ne jamais donner une note qui dépassait 12.
Tous les regards tournés vers toi ne t’impressionnaient pas. Tu donnais l’air d’avoir oublié ce gigantesque honneur. Tu attendais tes copines pour aller dans la cour.
Nous voulions savoir quelle bénédiction tu avais reçu ce jour-là, ou quel sorcier t’avait libéré du « mauvais œil », ou des « mauvais djins » pour obtenir un tel succès, tu m’avais répondu : « j’ai travaillé normalement »…Cette note ne te donnait pas la « grosse tête ».
Comme le bélier arrive en fonçant les cornes en avant, j’étais arrivée à la maison, en bombant le buste et j’avais déclaré : « elle a travaillé normalement et elle a eu 18/20. Je voudrais l’inviter à la maison ». Oui, répondit mon père, seulement, elle ne pourra pas venir dans notre quartier de Douiret car elle risque d’être ennuyée par les voyous de notre quartier. Mais puisque vous serez bientôt en vacances, donne-lui ton adresse. »
Comme j’aimais bien me trouver près de toi, ma chère Fatma-Zohra, non pour rêver inutilement, mais pour trouver surtout le courage de sortir de mon quartier. Fadhila et moi utilisions toujours l’argument indiscutable auprès de nos parents respectifs : « mais puisque ses parents acceptent !... »
Avec une simplicité feinte, je t’ai dit : « Voici mon adresse, nous pourrions correspondre. » Tu avais pris le papier, d’un air que je croyais indifférent, tu l’avais mis dans ta poche. J’avais pensé: « elle va perdre le papier ». D’autant que tu avais précisé que tu commencerais par aller à Mouzaîaville. Ce qui ne semblait pas être un lieu de vacances.
Pendant ces vacances et depuis quelques semaines, je tricotais un pull pour mon frère en lisant un roman prêté par ma professeur de philo, assise à même le carrelage réputé pour sa fraîcheur, dans le hall de la porte d’entrée.
Brusquement, on cogne à la porte trois fois. C’était le facteur. Il crie mon nom. « C’est moi », ai-je répondu d’une voix neutre en entrouvrant la porte, assez pour me faire constater mais sans lui permettre de me voir ».
Je me suis précipitée, je lis la lettre, je relis une seconde fois, je relis encore, dans un coin sombre du hall, face au mur, dans la tranquillité. Je note des mots simples au début, puis des mots inusités et surtout des mots de révolte. Tu sembles fâchée, scandalisée, parce que tu avais lu le journal de Gide à propos des Nourritures terrestres, et tu avais découvert que les critiques à ce sujet commentaient des erreurs injustes sur l’auteur. J’étais subjuguée !
Tu avais accès à tout. Tu lisais tout. Tu comprenais tout. Tu osais contredire. Tu plaçais les morts auprès des vivants. Je me suis brusquement demandé si ce qui est écrit est discutable. Ceux qui savent ne sont-ils pas des témoins ? Les amis du prophète qui ont vécu près de lui, avaient-ils écrits des actes discutables au sujet de sa vie? L’auteur de la description de l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac et que j’aimais tant relire, a t-il écrit des détails invérifiés ? Tout cela n’est-il pas définitivement établi ? Ne fallait-il pas retenir ces faits, puis les réciter avec les mêmes mots ?…C’est ainsi que sans le savoir, tu me faisais passer de la lecture passive à la lecture active !...
Ma chère Fatima Zohra, tu nous as fait sauter bien des barrières ! Au delà du chemin de la vérité, par tes écrits. Tu es restée notre modèle. Tu nous as fait découvrir qu’au delà de la mémoire et de la méditation, la prise de conscience de soi passait par la recherche de la vérité, la réflexion et la passion. Mon roman préféré est « l’Amour, la fantasia ». Tu es en plus de tes nombreux talents, l’historienne de la vérité. Aussi, nous avons été surprises par les critiques qui t’ont comparé à Françoise Sagan. Comme si, tu t’emparais du « butin », ( la langue française ainsi nommée par un autre joyau, Kateb Yacine), pour avoir seulement la capacité d’ « IMITER ! » !
Avec ta sensibilité tu nous as fait ressentir combien la puissance pouvait engendrer la barbarie. Tu nous as aussi fait ressentir que nous aussi nous avions un corps un cerveau, et des sentiments qui nous appartiennent et que nous avons le droit de les gérer nous-mêmes.
En dédicace, sur le livre « Loin de Médine », tu m’as écrit un seul mot « Solidairement » et ton message prouve bien qu’il reste encore à lutter courageusement pour construire notre identité, pour l’enrichir et non la mutiler et pour la protéger
Assia Djebar, tes talents sont maintenant reconnus par tous, et rejaillissent comme des feux d’artifice, nous t’en félicitons encore, et que tes messages continuent d’éclairer le monde et qu’ils permettent à tous les jeunes de la planète de se resituer et de se construire.
N. Z.
Chère Assia Djebar,
Chère Zohra qui a honoré l’Algérie,
Chère Académicienne qui a orienté les jeunes vers l’instruction !
Une joie indescriptible, une émotion inexprimable, une angoisse terrifiante: voilà ce que j’ai éprouvé lorsque notre merveilleuse et déterminée Amel m’a exprimé son vœux audacieux de vous voir au club et de m’adresser à vous…
L’inquiétude m’a aussitôt prise à la gorge : Oserai-je te tutoyer comme autrefois ? Est-ce que je dois te nommer par ton prénom « Zohra » ?
Je me suis demandé aussi si j’allais être pardonnée pour devoir employer le style « d’instituteur » appris au lycée de jeunes filles de Blida. A cette époque, il ne régnait qu’un seul maître. Il nous inculquait avec conviction, en communication le principe suivant : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ! ».
BLIDA ! Ville des roses ! Elle a perdu lentement ses parfums.
Durant cette période trouble, des mots nouveaux apparaissaient : justice, injustice, indépendance, exploiteurs, liberté, colonialisme…
Le lycée de jeunes filles commençait à ouvrir ses portes aux « indigènes » suite à de fermes revendications de la part de nos frères Algériens. Trois jeunes filles « indigènes » venaient de franchir cette grande porte à deux battants en fer forgé, décorée à son sommet en lettres dorées « Lycée de jeunes filles » : Aïcha aux cheveux blonds frisés et tressés, avec sa longue blouse à carreaux, était toujours assise sur le muret de la cour pendant la récréation. Elle venait de Relizane, en kabylie, et ne sortira qu’en fin d’année puisqu’elle était interne. Fadhila, ma voisine dont la maison était séparée de la mienne par un jardin commun, avait fini par obtenir de ses parents le fait tout à fait original d’aller au lycée mais voilée. Son père exerçait la profession d’oukil judiciaire. Il savait analyser les réactions de l’entourage : « s’instruire affirmait-il, mais garder ses traditions ». Avec ces paroles, il obtenait la faveur de ma mère qui me rappelait constamment « tu n’es pas Jeannette, tu vas t’instruire comme le conseille notre prophète, mais sans essayer de lui ressembler! » Ainsi nous étions protégées contre les délations des hommes du quartier et même de la ville.
Et la troisième jeune fille, était toi !
Pendant que l’on s’entremêlait dans des questions sans réponse : comment sortir de cet enfermement, comment réussir notre traversée vers l’inconnu, sans nous attirer la colère de Dieu, de nos parents, de notre quartier, ni celui de notre société , voilà que tu arrives, là, dans ce lycée et ta présence tout d’un coup nous donne une certaine assurance : nous venions de prendre conscience de quelque chose de vague qui nous appartenait et que chacune de nous avait vaguement quelque chose à faire.
Nos yeux écarquillés de curiosité, nous découvrions une silhouette aux formes normales, d’où émanait une tranquille assurance et un regard déjà orienté vers d’autres horizons. Tu étais vêtue d’une jupe courte, qui découvrait légèrement les genoux, et tu portais des chaussures simples . Des cheveux souples, de couleur naturelle, suivaient avec bonheur les mouvements de la tête.
Ma chère Fatma-Zohra, ton audace de te vêtir ainsi, nous plongeait dans un monde de rêve, un monde nouveau : loin de l’interdit qui nous imposait de nous couvrir de « la tête aux pieds » ! Aussi dès le lendemain à peine sortie de la maison, je remontais ma blouse à mi-mollet, avec une ceinture !... loin aussi du « Tu dois suivre les conseils de ton père et de ta mère et tu seras bénie » , loin aussi de « Après ton père, ton mari sera ton maître, il t’offrira le bonheur et tu devras être capable de lui faire le sien ». Bien sûr nous doutions de tout cela, mais ne pas souffrir pour s’arracher à tout cela, et ne pas faire souffrir son entourage, nous semblait impossible.
Et puis, tu étais là, devant nous avec les encouragements de tes parents, avec la confiance qu’ils avaient en toi, et avec la liberté dont tu semblais disposer. Aussitôt, tout cela, nous apparaissait abordable et réalisable.
Ce même soir chacune de nous avait annoncé dans sa famille d’un ton ferme : « Il y a dans le lycée, une fille très honorable, qui est venue sans voile et sans habit jusqu’aux chevilles! »
Nous avions été écoutées mais pas entendues. Je m’ étais alors promis de réussir à supprimer mes longues tresses raides terminées par un ruban rose, ainsi que ma longue blouse taillée et cousue par ma bien aimée-mère, sans oublier mes « majestueuses » chaussures faites sur mesure par le cordonnier choisi par mon père-attentionné… Il nous fallait en plus, affronter le regard des autres élèves qui nous regardaient d’un air découragé qui laissait sous-entendre : « Quand finiront-elles de se faire remarquer, ces deux-là ? »…
C’était, Toi, ma très chère Fatma-Zohra, qui nous avait donné confiance par ta simplicité et ton authenticité. Tu nous avais aidé à franchir la première étape vers la réalisation de soi , après avoir pris conscience du poids de nos interdits.
Quelques jours après ton arrivée au lycée, mon père m’annonçait : « Je me suis renseigné, la fille dévoilée qui vient au lycée est berbère. Je t’autorise à la fréquenter.. Ses parents sont très instruits, ils sont civilisés et la fille est moderne." ce qui signifiait que tu n’étais pas comme nous.
Cependant, notre première étape restait inachevée. Fadhila portait le saroual et le kakab, et moi, j’avais bien quitté la « maharma sur la tête, mais je portais toujours la couleur du hénné sur les mains. Pour aller de la maison au lycée, j’étais accompagnée de mon très jeune frère, qui se faisait une joie d’imposer sa loi sur mon comportement : « Baisse la voix ! les hommes t’entendent, ne te tortille pas quand tu marches et ainsi de suite.… » Et le situation était la même pour ma voisine Fadhila.
Nous imaginions alors, comment une fille libre comme toi allait choisir ses vêtements dans les boutiques, comment tu parlais au vendeur, comment tu te comportais au hammam pour être choisie par une future belle-mère, comment tu allais au cinéma ?…et autres.
Un autre matin, au lycée, à l’heure de la recréation, un silence inhabituel m’intriguait. Personne ne se précipitait dans la cour. J’approchais du groupe d’élèves. J’écoutais : « Elle a eu 18/20 ! C’est incroyable ! Tu réalises ! Notée par la professeur de Français, surnommée « la bourgeoise » parce qu’elle était mariée avec le proviseur du lycée de garçons et que politiquement elle se situait à droite. A l’inverse de ma professeur de philo qui était célibataire et communiste…Chacune répétait 18/20…18/20 d’autant plus qu’elle avait la réputation de ne jamais donner une note qui dépassait 12.
Tous les regards tournés vers toi ne t’impressionnaient pas. Tu donnais l’air d’avoir oublié ce gigantesque honneur. Tu attendais tes copines pour aller dans la cour.
Nous voulions savoir quelle bénédiction tu avais reçu ce jour-là, ou quel sorcier t’avait libéré du « mauvais œil », ou des « mauvais djins » pour obtenir un tel succès, tu m’avais répondu : « j’ai travaillé normalement »…Cette note ne te donnait pas la « grosse tête ».
Comme le bélier arrive en fonçant les cornes en avant, j’étais arrivée à la maison, en bombant le buste et j’avais déclaré : « elle a travaillé normalement et elle a eu 18/20. Je voudrais l’inviter à la maison ». Oui, répondit mon père, seulement, elle ne pourra pas venir dans notre quartier de Douiret car elle risque d’être ennuyée par les voyous de notre quartier. Mais puisque vous serez bientôt en vacances, donne-lui ton adresse. »
Comme j’aimais bien me trouver près de toi, ma chère Fatma-Zohra, non pour rêver inutilement, mais pour trouver surtout le courage de sortir de mon quartier. Fadhila et moi utilisions toujours l’argument indiscutable auprès de nos parents respectifs : « mais puisque ses parents acceptent !... »
Avec une simplicité feinte, je t’ai dit : « Voici mon adresse, nous pourrions correspondre. » Tu avais pris le papier, d’un air que je croyais indifférent, tu l’avais mis dans ta poche. J’avais pensé: « elle va perdre le papier ». D’autant que tu avais précisé que tu commencerais par aller à Mouzaîaville. Ce qui ne semblait pas être un lieu de vacances.
Pendant ces vacances et depuis quelques semaines, je tricotais un pull pour mon frère en lisant un roman prêté par ma professeur de philo, assise à même le carrelage réputé pour sa fraîcheur, dans le hall de la porte d’entrée.
Brusquement, on cogne à la porte trois fois. C’était le facteur. Il crie mon nom. « C’est moi », ai-je répondu d’une voix neutre en entrouvrant la porte, assez pour me faire constater mais sans lui permettre de me voir ».
Je me suis précipitée, je lis la lettre, je relis une seconde fois, je relis encore, dans un coin sombre du hall, face au mur, dans la tranquillité. Je note des mots simples au début, puis des mots inusités et surtout des mots de révolte. Tu sembles fâchée, scandalisée, parce que tu avais lu le journal de Gide à propos des Nourritures terrestres, et tu avais découvert que les critiques à ce sujet commentaient des erreurs injustes sur l’auteur. J’étais subjuguée !
Tu avais accès à tout. Tu lisais tout. Tu comprenais tout. Tu osais contredire. Tu plaçais les morts auprès des vivants. Je me suis brusquement demandé si ce qui est écrit est discutable. Ceux qui savent ne sont-ils pas des témoins ? Les amis du prophète qui ont vécu près de lui, avaient-ils écrits des actes discutables au sujet de sa vie? L’auteur de la description de l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac et que j’aimais tant relire, a t-il écrit des détails invérifiés ? Tout cela n’est-il pas définitivement établi ? Ne fallait-il pas retenir ces faits, puis les réciter avec les mêmes mots ?…C’est ainsi que sans le savoir, tu me faisais passer de la lecture passive à la lecture active !...
Ma chère Fatima Zohra, tu nous as fait sauter bien des barrières ! Au delà du chemin de la vérité, par tes écrits. Tu es restée notre modèle. Tu nous as fait découvrir qu’au delà de la mémoire et de la méditation, la prise de conscience de soi passait par la recherche de la vérité, la réflexion et la passion. Mon roman préféré est « l’Amour, la fantasia ». Tu es en plus de tes nombreux talents, l’historienne de la vérité. Aussi, nous avons été surprises par les critiques qui t’ont comparé à Françoise Sagan. Comme si, tu t’emparais du « butin », ( la langue française ainsi nommée par un autre joyau, Kateb Yacine), pour avoir seulement la capacité d’ « IMITER ! » !
Avec ta sensibilité tu nous as fait ressentir combien la puissance pouvait engendrer la barbarie. Tu nous as aussi fait ressentir que nous aussi nous avions un corps un cerveau, et des sentiments qui nous appartiennent et que nous avons le droit de les gérer nous-mêmes.
En dédicace, sur le livre « Loin de Médine », tu m’as écrit un seul mot « Solidairement » et ton message prouve bien qu’il reste encore à lutter courageusement pour construire notre identité, pour l’enrichir et non la mutiler et pour la protéger
Assia Djebar, tes talents sont maintenant reconnus par tous, et rejaillissent comme des feux d’artifice, nous t’en félicitons encore, et que tes messages continuent d’éclairer le monde et qu’ils permettent à tous les jeunes de la planète de se resituer et de se construire.
N. Z.
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