Tout d'abord je tiens à remercier Amel qui m'a permis d'être à distance parmi vous aujourd'hui.
Quand elle m'a annoncé qu'elle allait recevoir Assia Djebar dans le club de lecture, je lui ai tout de suite proposé d'envoyer un texte pour l'occasion. Ce n'est qu'après que je me suis posée la question: que pourrais-je bien écrire? Après un moment d'hésitation, je me suis finalement résolue à écrire ce que je ressens vis-à-vis son écriture. J'ai décidé de retracer mon petit parcours, moi algérienne de 27 ans qui vis dans une petite ville de l'est algérien: Guelma.
J'ai découvert Assia Djebar, tardivement, j'étais déjà en post graduation. Etudiante en littérature comparée, et fort intéressée par les écrivaines afro-américaines, j'ai voulu faire un travail comparatif entre l'une de ces femmes écrivains et une écrivaine algérienne. C’est à ce moment que j’ai découvert Assia Djebar.
En effet, malgré ma passion née pour la lecture, je n’avais jamais entendu parler d'elle. Chose étrange, une écrivaine de cette envergure semble absente pour ne pas dire invisible dans son propre pays. Bien sûr, on pourrait me blâmer de ne pas avoir cherché à trouver ses romans. Mais comment chercher quelque chose dont on ignore même l'existence?!!!!! Comment chercher un nom, dont même l'écho, ne nous est jamais effleuré les oreilles?!!!!!!
La première œuvre que j'ai lue, était Femmes d'Alger dans leur appartement. Le titre m'avait aussitôt frappé: je me suis dis enfin une œuvre qui parle non seulement des femmes, mais des femmes algériennes. De plus, l'auteure est une femme algérienne. Jusque là, je n’avais jamais vraiment réalisé qu'il y a belle et bien des femmes algériennes qui écrivent. J'ai souvent entendu parler de Kateb Yacine ou de Rachid Boudjedra, et bien d'autres encore, mais jamais un nom féminin ne m'est parvenu. En lisant cette œuvre, j’en étais bouleversée. Pour la première fois, j'ai pu me voir, moi, ainsi que mes sœurs, ma mère, mes grand-mères, mes tantes et toutes les femmes algériennes. Pour la première fois, j'ai pu m'identifier à ces femmes et apercevoir toutes celles que je connais car je n'avais pas besoin de supprimer certains traits des héroïnes pour les sentir au plus proches de mon être: elles étaient déjà à l'image des femmes qui m'entourent. Djebar y dépeignait des aspects de la vie quotidienne, des scènes qui pourraient sembler insignifiantes mais qui en fait, font de la vie ce qu'elle est. Elle décrivait des scènes dont j'étais mainte fois témoin. Elle racontait des histoires que ma grand-mère aimait à raconter : des histoires de combat et de désillusion, de souffrance et d'espoir.
La deuxième découverte fut : Loin de Médine. Quand j'ai lu le titre pour la première fois, je n'avais pas compris son sens. J'étais loin d'imaginer qu'il y avait une écrivaine algérienne qui aurait, il faut bien dire le mot, assez de courage pour parler ouvertement de la vie du prophète surtout dans une période durant laquelle parler de religion était plus qu'un tabou, un risque qu'on peut payer très cher. Encore une fois, Assia Djebar nous transporte avec une écriture poétique extraordinaire. Ce qui m'a particulièrement marqué dans cette œuvre, est l'aspect humain de ses personnages. Jusque là mystifiés et idéalisés au point où ils deviennent presque irréels. Assia Djebar dans cette œuvre nous montre une autre facette de ses êtres qui ont marqué l'histoire. Entre ses mains, ils deviennent des êtres de chair et de sang, capables d'amour et de haine, de justice et d'injustice; des êtres avec leurs imperfections et c'est justement cet aspect qui les rend plus proche de nous.
Autre aspect significatif de ce roman: l'histoire côté femme. Cet aspect devient encore plus significatif si on considère l'œuvre dans son contexte: une période de l'histoire algérienne où au nom de l'islam on a voulu réduire la femme au silence. Loin de Médine, fait jaillir la lumière sur celles qui œuvraient pour et même contre le prophète. La femme, au sein de la communauté musulmane, avait toujours tenu un rôle actif: Elle faisait l’histoire, elle ne la subissait pas.
Le Blanc de l'Algérie. J'ai les larmes aux yeux rien qu'en mentionnant ce titre. Ce texte m'a fait pleurer, moi qui pleure rarement. La tristesse de tout un peuple meurtri, de toute une génération qui a souffert et qui souffre toujours souvent en silence, est là, noire sur blanc. Je n'ai pu avoir accès à ce livre que cette année. Et triste coïncidence, je l'ai lu alors qu'on recevait la nouvelle de l’explosion de deux bombes à Alger en avril dernier. Je fais partie d'une génération qui a grandi dans une période dite noire. On a appris malgré nous à relativiser, à s'adapter. On a réussi à établir des barrières entre les évènements et nous même. La mort est devenue chose habituelle, pour ne pas dire banale. Et là, avec Le blanc de l’Algérie, je reçois en plein figure la détresse, la tragédie du peuple algérien. Assia Djebar a réussi à me faire réaliser que les gens qu'on a tué et dont on parlait chaque jour dans les médias étaient des gens réels. Elle s'est placée au coeur de cette épouvante. Les noms qu'elle citait n'étaient plus des noms anonymes ; ces gens étaient sa famille, ses amis, ses collègues. Et là je me suis mise à sa place. Je me suis mise à imaginer qu'on tue les gens que je connais, ma famille, mes amies, mes collègues. Quel sentiment horrible alors. Le monde a basculé autour de moi. Le clivage qui s'est établie au fil des années s'est d'un coup réduit pour laisser place à un sentiment de déchirement qui me hante, et je sais qu'il me hantera pour longtemps encore. Mais malgré cette souffrance, je me dis que c'est mieux ainsi. Car à force de vouloir se protéger, on perd sans s'en rendre compte une partie de son âme, de son humanité.
Ce sentiment de souffrance réapparaît encore une fois dans une autre œuvre: Vaste est la Prison. Quatre mots qui résument ce que souvent, je ressens en tant que femme algérienne. Car vaste est la prison qui m'entoure. Les sentiments qu'elle dépeint pourraient être les miens. Toute cette souffrance, inquiétude, confusion, hésitation, détermination, joie de vivre, rupture avec les mots pourraient être les miens. Comme si Assia Djebar a pénétré au abysse de mon intimité, a puisé dans le plus profond de mon être pour déterrer des parties auxquelles, j’avais du mal à accéder. Et comme toujours, au cœur des ténèbres et de la souffrance, Assia Djebar a réussi à nous faire sentir que l'espoir existe toujours.
Je pourrais aussi parler des difficultés que j'avais et que je continue à avoir pour obtenir ses livres. Je pourrai continuer longtemps à décrire ce que chaque oeuvre m'a offert. Mais quoi que je dise ce ne sera jamais suffisant pour signifier mon admiration. C’est pourquoi, par conscience et engagement, j'ai décidé de mettre l'œuvre djebarienne au centre de ma carrière.
De ma petite ville de l'est algérien, je vous remercie Assia Djebar de m'avoir aider à ouvrir les yeux, d’avoir mis des mots sur des sentiments que je ressens et que je n'ai jamais pu exprimer, d’être restée fidèle à vos origines, et d'avoir offert des valeurs pour une génération qui a tant besoin de repères. Pour tout cela, et bien plus encore. Je vous remercie.
Houda Hamdi
Guelma – Algérie
15/06/2007
Quand elle m'a annoncé qu'elle allait recevoir Assia Djebar dans le club de lecture, je lui ai tout de suite proposé d'envoyer un texte pour l'occasion. Ce n'est qu'après que je me suis posée la question: que pourrais-je bien écrire? Après un moment d'hésitation, je me suis finalement résolue à écrire ce que je ressens vis-à-vis son écriture. J'ai décidé de retracer mon petit parcours, moi algérienne de 27 ans qui vis dans une petite ville de l'est algérien: Guelma.
J'ai découvert Assia Djebar, tardivement, j'étais déjà en post graduation. Etudiante en littérature comparée, et fort intéressée par les écrivaines afro-américaines, j'ai voulu faire un travail comparatif entre l'une de ces femmes écrivains et une écrivaine algérienne. C’est à ce moment que j’ai découvert Assia Djebar.
En effet, malgré ma passion née pour la lecture, je n’avais jamais entendu parler d'elle. Chose étrange, une écrivaine de cette envergure semble absente pour ne pas dire invisible dans son propre pays. Bien sûr, on pourrait me blâmer de ne pas avoir cherché à trouver ses romans. Mais comment chercher quelque chose dont on ignore même l'existence?!!!!! Comment chercher un nom, dont même l'écho, ne nous est jamais effleuré les oreilles?!!!!!!
La première œuvre que j'ai lue, était Femmes d'Alger dans leur appartement. Le titre m'avait aussitôt frappé: je me suis dis enfin une œuvre qui parle non seulement des femmes, mais des femmes algériennes. De plus, l'auteure est une femme algérienne. Jusque là, je n’avais jamais vraiment réalisé qu'il y a belle et bien des femmes algériennes qui écrivent. J'ai souvent entendu parler de Kateb Yacine ou de Rachid Boudjedra, et bien d'autres encore, mais jamais un nom féminin ne m'est parvenu. En lisant cette œuvre, j’en étais bouleversée. Pour la première fois, j'ai pu me voir, moi, ainsi que mes sœurs, ma mère, mes grand-mères, mes tantes et toutes les femmes algériennes. Pour la première fois, j'ai pu m'identifier à ces femmes et apercevoir toutes celles que je connais car je n'avais pas besoin de supprimer certains traits des héroïnes pour les sentir au plus proches de mon être: elles étaient déjà à l'image des femmes qui m'entourent. Djebar y dépeignait des aspects de la vie quotidienne, des scènes qui pourraient sembler insignifiantes mais qui en fait, font de la vie ce qu'elle est. Elle décrivait des scènes dont j'étais mainte fois témoin. Elle racontait des histoires que ma grand-mère aimait à raconter : des histoires de combat et de désillusion, de souffrance et d'espoir.
La deuxième découverte fut : Loin de Médine. Quand j'ai lu le titre pour la première fois, je n'avais pas compris son sens. J'étais loin d'imaginer qu'il y avait une écrivaine algérienne qui aurait, il faut bien dire le mot, assez de courage pour parler ouvertement de la vie du prophète surtout dans une période durant laquelle parler de religion était plus qu'un tabou, un risque qu'on peut payer très cher. Encore une fois, Assia Djebar nous transporte avec une écriture poétique extraordinaire. Ce qui m'a particulièrement marqué dans cette œuvre, est l'aspect humain de ses personnages. Jusque là mystifiés et idéalisés au point où ils deviennent presque irréels. Assia Djebar dans cette œuvre nous montre une autre facette de ses êtres qui ont marqué l'histoire. Entre ses mains, ils deviennent des êtres de chair et de sang, capables d'amour et de haine, de justice et d'injustice; des êtres avec leurs imperfections et c'est justement cet aspect qui les rend plus proche de nous.
Autre aspect significatif de ce roman: l'histoire côté femme. Cet aspect devient encore plus significatif si on considère l'œuvre dans son contexte: une période de l'histoire algérienne où au nom de l'islam on a voulu réduire la femme au silence. Loin de Médine, fait jaillir la lumière sur celles qui œuvraient pour et même contre le prophète. La femme, au sein de la communauté musulmane, avait toujours tenu un rôle actif: Elle faisait l’histoire, elle ne la subissait pas.
Le Blanc de l'Algérie. J'ai les larmes aux yeux rien qu'en mentionnant ce titre. Ce texte m'a fait pleurer, moi qui pleure rarement. La tristesse de tout un peuple meurtri, de toute une génération qui a souffert et qui souffre toujours souvent en silence, est là, noire sur blanc. Je n'ai pu avoir accès à ce livre que cette année. Et triste coïncidence, je l'ai lu alors qu'on recevait la nouvelle de l’explosion de deux bombes à Alger en avril dernier. Je fais partie d'une génération qui a grandi dans une période dite noire. On a appris malgré nous à relativiser, à s'adapter. On a réussi à établir des barrières entre les évènements et nous même. La mort est devenue chose habituelle, pour ne pas dire banale. Et là, avec Le blanc de l’Algérie, je reçois en plein figure la détresse, la tragédie du peuple algérien. Assia Djebar a réussi à me faire réaliser que les gens qu'on a tué et dont on parlait chaque jour dans les médias étaient des gens réels. Elle s'est placée au coeur de cette épouvante. Les noms qu'elle citait n'étaient plus des noms anonymes ; ces gens étaient sa famille, ses amis, ses collègues. Et là je me suis mise à sa place. Je me suis mise à imaginer qu'on tue les gens que je connais, ma famille, mes amies, mes collègues. Quel sentiment horrible alors. Le monde a basculé autour de moi. Le clivage qui s'est établie au fil des années s'est d'un coup réduit pour laisser place à un sentiment de déchirement qui me hante, et je sais qu'il me hantera pour longtemps encore. Mais malgré cette souffrance, je me dis que c'est mieux ainsi. Car à force de vouloir se protéger, on perd sans s'en rendre compte une partie de son âme, de son humanité.
Ce sentiment de souffrance réapparaît encore une fois dans une autre œuvre: Vaste est la Prison. Quatre mots qui résument ce que souvent, je ressens en tant que femme algérienne. Car vaste est la prison qui m'entoure. Les sentiments qu'elle dépeint pourraient être les miens. Toute cette souffrance, inquiétude, confusion, hésitation, détermination, joie de vivre, rupture avec les mots pourraient être les miens. Comme si Assia Djebar a pénétré au abysse de mon intimité, a puisé dans le plus profond de mon être pour déterrer des parties auxquelles, j’avais du mal à accéder. Et comme toujours, au cœur des ténèbres et de la souffrance, Assia Djebar a réussi à nous faire sentir que l'espoir existe toujours.
Je pourrais aussi parler des difficultés que j'avais et que je continue à avoir pour obtenir ses livres. Je pourrai continuer longtemps à décrire ce que chaque oeuvre m'a offert. Mais quoi que je dise ce ne sera jamais suffisant pour signifier mon admiration. C’est pourquoi, par conscience et engagement, j'ai décidé de mettre l'œuvre djebarienne au centre de ma carrière.
De ma petite ville de l'est algérien, je vous remercie Assia Djebar de m'avoir aider à ouvrir les yeux, d’avoir mis des mots sur des sentiments que je ressens et que je n'ai jamais pu exprimer, d’être restée fidèle à vos origines, et d'avoir offert des valeurs pour une génération qui a tant besoin de repères. Pour tout cela, et bien plus encore. Je vous remercie.
Houda Hamdi
Guelma – Algérie
15/06/2007
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