Par Ahmed Bedjaoui
Maître de Conférences à l’Université Alger 3
Avant de recourir à la caméra
pour étendre ses moyens d’expression, Assia Djebar n’avait pas écrit de roman
depuis dix ans, comme si les mots écrits s’étaient trouvés suspendus à ce dur
désir de dire et de montrer les femmes, dans l’engrenage de l’Histoire et de la
parole confisquée. Elle avait alors résolument décidé de faire converger son
obstination vers le cinéma.
L'auteur de cet article est à
la fois producteur de films et chercheur universitaire. Au sein du département
de production à la RTA qu'il dirigeait à l’époque, il a produit les deux seuls
films qu'Assia Djebar a réalisés et a
été témoin des nombreuses tentatives qu'elle a faites pour poursuivre sa
carrière de cinéaste. Il nous livre donc des informations précieuses sur les
conditions dans lesquelles l'écrivaine a vécu son dur désir de cinéma.
Le premier film d'Assia Djebar,
« La nouba des femmes du Mont Chenoua » a été mal accueilli par la
presse algérienne. La cinéaste en fut
ulcérée. Lors du Festival de Carthage en 1978
dit-elle, « des réalisateurs algériens avaient tout fait auprès des
responsables tunisiens pour disqualifier son film » Mais en
septembre 1979 le film le prix de la
critique du prestigieux festival international de Venise le prix de la critique
(le seul à avoir été décerné cette année là par les journalistes).
Dans une lettre qu’elle a
adressée au producteur le 14 septembre 1979, Madame Assia Djebar
écrivait : « J’avoue que cette distinction à laquelle je ne
m’attendais pas, m’a fait chaud au cœur. Surtout après cette longue année de
« contestation » algérienne sur le film. Cela me paraît être une
réparation de Carthage. Nous l’avons
bien mérité ».
L'année suivante, Assia Djebar
entame la préparation d'un second film, cette fois entièrement basé sur des
documents d'archives. La recherche historique et le texte littéraire se
rejoignent et éclipsent la représentation. « La Zerda, ou les Chants de
l'Oubli », est un travail accompli sur la mémoire. Le film s'est d'abord
intitulé « Maghreb, les Années Trente » parce que l'auteur s'est
avant tout intéressée à ces zerdas et à ces fantasias organisées par les forces
coloniales dans les trois pays du Nord du Maghreb.
Le directeur du festival de
Berlin, le fameux Ulrich Grégor, avait beaucoup aimé le film et demandé à
programmer « La Zerda » dans la compétition officielle. Mais le
nouveau directeur de la télévision a mis son véto à la participation du film au
Festival de Berlin. Ce fut également la fin de l'aventure d'Assia Djebar avec
le cinéma.
C'est une nouvelle Assia Djebar
qui est née des années cinéma et ce n'est pas le fait du hasard si elle est
toujours citée comme écrivaine ET cinéaste, même si elle n'a plus tourné depuis
un quart de siècle. "Depuis que j’ai réalisé le film ‘’La Nouba’’, ma
manière d’écrire a changé. »
L’auteure et
cinéaste a présenté par la suite plusieurs projets de films aux autorités
algériennes pour être financés, mais en vain. Un de ces films se trouve être
une adaptation du livre de Fadhma Ath Mansour Amrouche ‘’Histoire de ma vie’’.
En 1987, Assia Djebar fait une
nouvelle tentative pour revenir à la réalisation en présentant un projet
ambitieux consacré à Youssef Essedik. Ce projet venu après l'adoption du code
de la famille et d'une nette régression dans le droit des femmes a été étouffé
dans l'œuf par les autorités culturelles et politiques de l'époque.
En 2003, Assia Djebar connait
la même mésaventure malgré l'enthousiasme qu'elle a manifesté à renouer avec
son pays. Sollicitée par l'Année de l'Algérie en France, elle propose de
produire son opéra « Les Filles d'Ismaël ». Après avoir cru à cette
proposition, son projet est brutalement arrêté après des mois de préparation.
De nouveau Assia Djebar se voit exclue sans autre forme d'égard et pour les
mêmes raisons qu'en 1987. On comprendra mieux l'amertume discrète et retenue
d'une grande dame davantage reconnue ailleurs que chez les siens.
A.B.
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