dimanche 27 janvier 2013

Assia Djebar, l'écriture, le cinéma...

Par Ahmed Bedjaoui
Maître de Conférences à l’Université Alger 3
 
Avant de recourir à la caméra pour étendre ses moyens d’expression, Assia Djebar n’avait pas écrit de roman depuis dix ans, comme si les mots écrits s’étaient trouvés suspendus à ce dur désir de dire et de montrer les femmes, dans l’engrenage de l’Histoire et de la parole confisquée. Elle avait alors résolument décidé de faire converger son obstination vers le cinéma.

L'auteur de cet article est à la fois producteur de films et chercheur universitaire. Au sein du département de production à la RTA qu'il dirigeait à l’époque, il a produit les deux seuls films qu'Assia Djebar a  réalisés et a été témoin des nombreuses tentatives qu'elle a faites pour poursuivre sa carrière de cinéaste. Il nous livre donc des informations précieuses sur les conditions dans lesquelles l'écrivaine a vécu son dur désir de cinéma.

Le premier film d'Assia Djebar, « La nouba des femmes du Mont Chenoua » a été mal accueilli par la presse algérienne.  La cinéaste en fut ulcérée. Lors du Festival de Carthage en 1978 dit-elle, « des réalisateurs algériens avaient tout fait auprès des responsables tunisiens pour disqualifier son film » Mais en septembre 1979  le film le prix de la critique du prestigieux festival international de Venise le prix de la critique (le seul à avoir été décerné cette année là par les journalistes).

Dans une lettre qu’elle a adressée au producteur le 14 septembre 1979, Madame Assia Djebar écrivait : « J’avoue que cette distinction à laquelle je ne m’attendais pas, m’a fait chaud au cœur. Surtout après cette longue année de « contestation » algérienne sur le film. Cela me paraît être une réparation de Carthage. Nous l’avons bien mérité ».

L'année suivante, Assia Djebar entame la préparation d'un second film, cette fois entièrement basé sur des documents d'archives. La recherche historique et le texte littéraire se rejoignent et éclipsent la représentation. « La Zerda, ou les Chants de l'Oubli », est un travail accompli sur la mémoire. Le film s'est d'abord intitulé « Maghreb, les Années Trente » parce que l'auteur s'est avant tout intéressée à ces zerdas et à ces fantasias organisées par les forces coloniales dans les trois pays du Nord du Maghreb.

Le directeur du festival de Berlin, le fameux Ulrich Grégor, avait beaucoup aimé le film et demandé à programmer « La Zerda » dans la compétition officielle. Mais le nouveau directeur de la télévision a mis son véto à la participation du film au Festival de Berlin. Ce fut également la fin de l'aventure d'Assia Djebar avec le cinéma.

C'est une nouvelle Assia Djebar qui est née des années cinéma et ce n'est pas le fait du hasard si elle est toujours citée comme écrivaine ET cinéaste, même si elle n'a plus tourné depuis un quart de siècle.  "Depuis que j’ai réalisé le film ‘’La Nouba’’, ma manière d’écrire a changé. »

L’auteure et cinéaste a présenté par la suite plusieurs projets de films aux autorités algériennes pour être financés, mais en vain. Un de ces films se trouve être une adaptation du livre de Fadhma Ath Mansour Amrouche ‘’Histoire de ma vie’’.

En 1987, Assia Djebar fait une nouvelle tentative pour revenir à la réalisation en présentant un projet ambitieux consacré à Youssef Essedik. Ce projet venu après l'adoption du code de la famille et d'une nette régression dans le droit des femmes a été étouffé dans l'œuf par les autorités culturelles et politiques de l'époque.

En 2003, Assia Djebar connait la même mésaventure malgré l'enthousiasme qu'elle a manifesté à renouer avec son pays. Sollicitée par l'Année de l'Algérie en France, elle propose de produire son opéra « Les Filles d'Ismaël ». Après avoir cru à cette proposition, son projet est brutalement arrêté après des mois de préparation. De nouveau Assia Djebar se voit exclue sans autre forme d'égard et pour les mêmes raisons qu'en 1987. On comprendra mieux l'amertume discrète et retenue d'une grande dame davantage reconnue ailleurs que chez les siens.

A.B.

L'article est en cours de publication sur la revue de l'Université d'Alger 2

Aucun commentaire: