vendredi 21 décembre 2007

Après la lecture du roman "Nulle part dans la maison de mon père"

Le triomphe du «je», …

Par Amel Chaouati

31 octobre, le roman de Assia Djebar Nulle part dans la maison de mon père est sorti en librairie; il a surgi au milieu d’autres livres emballés dans un carton que la libraire n’avait pas encore ouvert. Elle venait à peine de le réceptionner. Si seulement on lui avait dit ce qu’il contenait? elle se serait probablement précépitée de le sortir à la lumière et le délivrer de cette claustration.

Nulle part dans la maison de mon père est un roman personnel, écrit avec une plume qui trace lentement, avec fluidité et sérénité des souvenirs d’enfance et d’adolescence lointains, troubles et souvent amers.
Enfin des lignes douces-amères, sereines, posées délicatement, ligne après ligne. Des lignes longtemps torturées, retournées, bouleversés, enjolivées, ornées dans les précédentes œuvres. L’auteure écrit à juste tire dans ce roman « mais voici que l’auteure – dont nous risquions de voir le corps étendu, coupés en morceaux, ou bien dissous-, tout en courant au bord de la déraison, semble nous dire qu’elle préfère, en définitive, l’hybris de l’écriture-aveu, de l’écriture en fuite… et en sanglots. »
L’écriture si suave de ce roman porte pourtant un passé envahissant et persistant. Le moment était enfin venu pour le déposer sur de nombreuses pages immaculées.
Les romans sont multiples mais le passé est un.
Le passé une fois écrit, il ne faudra plus y toucher.

Ce roman est un triomphe car il célèbre la naissance du Je. Que dis-je ? plutôt la délivrance du je, accouché lentement roman après roman et après tant de tergiversations. Parfois il faisait irruption mais vite, il devenait « elle », « nous », « les femmes », ou ce personnage fictif que l’auteure nommera Asma.
Pour mesurer davantage le parcourt de cette œuvre douce amère et sa magnificence, le lecteur devrait accepter d’être bousculé par « la soif », déplacé avec « l’amour la fantasia », troublé par « ombre sultane », heurté par « vaste est la prison ». Il devra aussi frissonner avec « la disparition de la langue française ou « les nuits de Strasbourg ».

Ce roman démontre combien il est si difficile de voyager vers son intériorité. En effet, depuis « la soif », combien de chemins tortueux il a fallu traverser pour s’écouter, comprendre, s’affronter ? Il aura fallut s’essayer dans quinze romans, inventer de nombreux personnages fictifs pour finalement porter atteinte à la vie de certains d’entre eux (voir « la soif », « vaste est la prison », « l’amour, la fantasia », « la disparition de langue française » ou dans « les nuits de Strasbourg »). Il fallait aussi remonter loin dans l’histoire universelle pour pouvoir dire le je sans tremblement ni rage.
La question alors : combien faut-il à une femme pour réussir à s’affirmer. Combien a –t-il fallut pour une femme de culture arabo-berbère écrivant pourtant en français, pour se dire à la première personne du singulier, dire ce je dès l’ouverture du roman et persister jusqu’à la dernière page.

Ce roman est dévoilement et visibilité. Est ce un voile qui est tombé ou un rideau qui s’est levé ? Peu importe ! peu importe si le voile a glissé tout au long du corps, ou un rideau d’une scène qui fait apparaître les figurants, peut importe ! ce qui est sûr c’est la persistance de cette pudeur de l’écriture qui reste intacte, vierge, jamais entachée ou entamée. Une pudeur de langue et d’écriture toujours renouvelée. Jamais de disgrâce même lorsque la douleur vient à jaillir.

Ce roman vient aussi tuer symboliquement le père pour reconnaître l’autre et aller vers lui ; cet autre qui n’est ni le père ni celui avec qui on aura partagé de longues années de vie commune.
Cet autre, est si étranger à soi-même, pourtant il fait figure de sauveur. Il est celui qui refuse de découper le corps d’une femme en morceaux car il souffre déjà d’apercevoir quelques lambeaux. Ce sauveur pourrait être étranger à sa propre langue, à sa propre culture, à sa famille. Cet étranger veut sauver cette femme pour qu’elle répare ce qui est déjà brisé, pour elle et pour toutes les autres femmes.

1957- « La soif » 2007- « Nulle part dans la maison de mon père ». Le chiffre sept, annonciateur de la fin d’un entre-deux, la fin d’une vie incertaine. Le sept, chiffre protecteur contre les esprits maléfiques et les envieux.
Car ce roman signe la fin d’une époque, aussi longue soit elle, aussi indigeste que peut-être la désillusion. Le deuil d’un passé permettra de déployer de manière encore plus majestueuse le génie de la fiction, l’envol de l’imaginaire et permettra le triomphe de la langue.

Nulle part dans la maison de mon père dites-vous ? Nulle part ? et alors ? puisque le père, lui , sera toujours là, partout, jusqu’aux interstices des lettres et des mots de l’écriture qui est désormais depuis longtemps la somptueuse maison de l’écrivain Assia Djebar.


Pontoise le 03/11 /07


Aucun commentaire: