Par Denise Djoulah
Membre du club de lecture
Son vrai nom est Fatima-Zohra IMALAYENE, elle est née à Cherchell (près d’Alger) en 1936 et a derrière elle plus de cinquante ans d’écriture en langue française. A la fois écrivaine, historienne, professeur et cinéaste, elle est la première femme maghrébine à être élue à l’académie française en 2005. «Nulle part dans la maison de mon père» est paru en 2007 et elle y relate son enfance et son adolescence.
Elle commence par sa toute petite enfance, bercée par la tendresse de ses parents jusqu’au jour où, elle est confrontée brutalement, à l’âge de cinq ans à l’autorité intransigeante du père, qui lui interdit de monter à vélo car en roulant, elle exhibe ses jambes. Cette violence paternelle va la marquer au fer rouge. Suite à cet événement, une lutte pour l’émancipation de la femme se déclenche en elle et s’y attèlera durant toute sa vie, que ce soit par l’intermédiaire de sa plume, de l’écran cinématographique ou sur les planches. La découverte du premier livre bouleverse la petite fille et lui révèle sa passion pour la littérature et la lecture qui sera sa bouée de sauvetage contre la restriction de la liberté quotidienne environnante. La vie des femmes est omniprésente par les descriptions des fêtes: la danse où elles font parler leurs corps; le hammam, endroit où elles peuvent se dénuder. Sa position familiale en tant qu’aînée, la confrontation avec la mort par celle de sa grand-mère et d’un petit frère, l’éveil de la sexualité à travers les chuchotements perçus dans la chambre parentale.
Puis c’est la vie au collège où elle était pensionnaire et ne rentre qu’en fin de semaine. D’une prison à l’autre …. Cependant, elle bénéficie d’un petit espace de liberté grâce aux allers-retours qu’elle effectue en car de Blida à Césarée. Elle découvre le plaisir des mouvements corporels avec la pratique intense du basket. Les fêtes de fin d’année occasionnent les rencontres entre filles et garçons lors du montage d’une opérette qu’ils représenteront à la fête de fin d’année de l’école.
Elle mesure d’un côté par rapport à ses camarades algériennes son « privilège » de sortir « à l’européenne » pour aller et venir du collège à son domicile. Alors que ce n’est pas le cas pour d’autres camarades, dont le père contrôle quotidiennement la silhouette de sa fille avant qu’elle mette le voile pour sortir. D’un autre côté, par rapport à ses camarades pieds-noirs, elle ressent une frustration, car ces dernières ont un champ d’action plus vaste notamment avec le sexe opposé. Sa voisine de lit du dortoir lui fait ses confidences sur l’oreiller, elle lui raconte en détail ses «flirts » avec son copain durant les promenades sur le paséo longeant la plage, pendant les vacances d’été, avec en prime la bénédiction de maman. Pour elle comme pour les autres Algériennes ce sont les vacances familiales entre quatre murs ; au mieux sur les terrasses ou dans les cours intérieures. Mais elle bénéficie de l’échappatoire de la lecture. De plus elle a une avocate : sa mère, qui, face aux femmes de la tribu qui lui demande de la voiler, leur rétorque : « elle étudie !» le terme est plus imposant en arabe «T’akra! ». Ainsi elle se trouve « entre deux cultures » : ni vraiment libre, ni étouffée.
Son père est muté à Alger quand elle obtient son second bac et ainsi elle peut poursuivre ses études de lettres au grand lycée. Là «le fiancé», un garçon qu’elle a connu lors de la fête de fin d’année du collège par l’intermédiaire d’un jeu avec une amie, lui écrit une lettre et elle ira à son rendez-vous. C’est ainsi que l’aventure commence avec de grandes promenades à deux dans les rues d’Alger, elle consent de temps à autre à lui accorder un baiser. Mais toujours avec la peur au ventre que cela n’arrive aux oreilles de son père, auquel cas elle se tuerait. En fait elle n’est pas du tout amoureuse du garçon mais propulsée par ses lectures elle s’identifie à une héroïne amoureuse. Elle est surtout intéressée par la liberté de circulation dans les rues d’Alger, permise grâce à son chaperon. Au final, la dernière ballade avec le fiancé, tourne au drame car au cours d’une dispute, elle retrouve en lui l’intransigeance du père. Elle s’enfuit brusquement, se met à courir dans la rue, se jette sous un tramway et échappe de justesse à la mort.
Elle démontre également que dans la société algérienne l’émancipation de la femme ne peut se faire qu’à travers l’homme. D’ailleurs au courant de son long parcours elle n’aura sa vraie liberté qu’après deux divorces.
Ce livre est aussi la vie de différentes femmes décrites aussi bien dans le cadre familial et amical que ce soit des Algériennes ou des Françaises. La vie des femmes Algériennes caractérise cette soif d’émancipation, avec beaucoup de complicité et d’entraides entres elles face à la gent masculine. Elle décrit les scènes au hammam, les mariages, les discussions avec les cousines et sa mère avec ses amies et parentes. Le clivage des deux cultures auxquelles elle est confrontée : l’héritage de la langue arabe et de l’éducation musulmane, avec en contre partie la formation scolaire française et le voisinage de la culture occidentale à travers la population pied noir de l’époque. Et évidemment cette grande attirance par la littérature française. Dans ses balades elle ne peut pas s’adresser en arabe à ses compatriotes algériens surtout quand elle est toute seule, pour leur demander la route, de peur de se faire insulter ou même gifler.
Elle navigue autant d’une société à l’autre que dans le temps. Elle parle des moments de son enfance en y superposant sa vie d’adulte. Par exemple, en parlant de l’école coranique qu’elle fréquentait dans sa petite enfance, elle évoque l’instant où elle doit prendre la décision de rompre son premier mariage: incertaine de son choix, elle prend le coran, l’ouvre au hasard et y trouve la phrase suivante: «nulle ne peut porter la charge de l’autre».
Dans cette autobiographie elle parle tantôt à la première personne, tantôt à la troisième et parfois en se nommant « la jeune fille ou la « petite fille » ou « la jeune femme » en parlant de sa vie d’adulte ; cela pour donner une certaine distance à l’évènement. Les faits sont répétés et réexpliqués d’un chapitre à l’autre. Elle insiste pour faire comprendre au lecteur son âge avancée, comme quelque chose qu’elle a ressassé et ruminé durant toute sa vie pour l’écrire à la fin. Elle utilise également différents temps : tantôt ceux du passé, tantôt ceux du présent.
Son pseudonyme Assia « celle qui console » et Djebar « l’intransigeante » donne déjà un peu le ton de ce livre : c’est Assia qui console Djebar l’intransigeante. A 70 ans elle cherche à percer le secret qui la propulse dans l’écriture, ce chemin d’auteure est une route tracée par une pulsion de mort mise en acte à 16 ans, puis enfouie et qu’elle fait resurgir à lun âge avancé. Car sa vie de femme, elle l’a racontée antérieurement dans «Vaste est la prison » livre de poche, qui paru en 1995.
Mais le thème principal est quand même le combat de « l’ennemi » (l’e’dou en arabe) on pourrait même dire comme dans le film « l’ennemi intime ». Dans «Vaste est la prison » elle dit que les femmes algériennes utilisent ce terme entre elles pour désigner leur époux. »
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