Par Henriette Alègre .
A propos de Lire Assia Djebar ! , ouvrage
collectif, Edition La Cheminante 2012.
et de Passions Impunies, George Steiner, Londres, essais faber and faber 1996 - Gallimard 1997. Taduit de
l’anglais par Pierre Emmanuel Dauzat et
louis Evrard.
« Lire, c’est comparer » écrit G.
Steiner dans Passions impunies :
« Tout acte de recevoir une forme
signifiante, dans le langage, l’art, la musique est comparatif (…).Nous cherchons à comprendre, à situer l’objet devant
nous – texte, peinture, sonate – en lui offrant le contexte intelligible et informatif d’une expérience
préalable et apparentée. Nous nous tournons intuitivement vers l’analogie et le précédent, vers des traits qui
sont comme de famille (par conséquent « familiers ») et qui
rattachent la chose nouvelle à un contexte reconnaissable ». (Lire en
frontalier, p.119).
« Le lecteur peu commun » représenté
dans le tableau de Chardin, « Un philosophe occupé de sa lecture » (1734)
Rapprocher les deux ouvrages cités, c’est s’attarder
sur la conception du « Lecteur peu commun » que G.Steiner dégage
de ce tableau, pour tenter de la mettre
en résonnance avec la démarche créatrice que présente l’ouvrage collectif
« Lire Assia Djebar ».
Cette
démarche originale traduit une conception de l’engagement qui fait
écho à la signification de l’engagement du « lecteur peu commun » : cet
engagement est total, dans sa réponse et sa responsabilité, lié à son expérience, à ses habitus
culturels .
L’intellectuel, ici, comme le « lecteur peu
commun » est « un être humain qui lit, une plume à la main » et
pour qui « bien lire, c’est être lu par ce que nous lisons »
(que les auteurs soient plasticienne, poète, psychologue, écrivain, comédien, universitaire, traducteur – et qu’il travaille
avec des mots ou d’autres matériaux ).
Place, rôle,
valeurs dans les représentations
iconographiques
La photographie du
tableau d’Anne marie Carthé « Hommage à Assia djebar »
(citation , démarche, poème) précède les actes de lecture des auteurs et les
accompagne par des focalisations sur des détails de son œuvre, comme
« le lecteur peu commun » en « envoi » et au centre du livre
Passions impunies, analyse le tableau de
Chardin, chacun adoptant sans doute, une visée transmissive et réflexive.
« Hommage à Assia Djebar » livre une
représentation du regard du lecteur, plongé, habité (habillé)
de façon dynamique dans et par la densité des pages de son œuvre. Habité,
éclairé et « habillé « sobrement, pour l’occasion, en
hommage à une œuvre de marque.
Ce regard, abstrait, rappelle aussi la vision
classique de l’acte de lire : les liens entre l’auteur et le temps, le
lecteur et le texte. Ce regard s’inscrit dans un espace esthétique :
espace intérieur et extérieur sont délimités, dans ce tableau par la la présence symbolique du moucharabieh. Mais cet élément contribue à
définir ces espaces comme complémentaires : la lecture dans son espace
intime et la lecture dans son espace social, comme interaction et transmission.
Ainsi, ce tableau signifie bien qu’il s’agit là d’un « lecteur peu commun », un
peu comme « le philosophe occupé de
sa lecture », qui, à son époque, représentait le lecteur savant .